Depuis le temps, on l’aurait presque oublié ! Pourtant, le phylloxéra est toujours présent dans les vignobles hexagonaux et européens. Sur nos vignes actuelles, qui sont greffées sur un porte-greffon américain, le phylloxera ne se manifeste que sur les feuilles par des « boutons » comme vous pouvez le voir sur la photo en bas de page. On parle alors de forme gallicole ou plus sommairement de galle. Cela peut devenir embêtant si toutes les feuilles d’un pied en sont couvertes car alors la photosynthèse ne pourra plus se faire comme il se doit, mais autrement ce n’est point gênant

L’Inra de Bordeaux, qui a repris les recherches sur ce ravageur en 2013, constate d’ailleurs l’apparition de plus en plus fréquente de cette forme gallicole sur nos Vitis vinifera, pourtant très peu sensible à l’expression sur feuilles. « Il est plus ou moins visible selon les conditions environnementales, car il remonte sur les parties aériennes lorsqu’il y a un stress au niveau des racines de porte-greffe, explique Daciana Papura, ingénieur de recherche à l’UMR Save de Bordeaux. Mais il y a bien des populations latentes, qui survivent dans les sols viticoles sans être dommageables à la vigne, tolérées par ses racines américaines ».

Revenons sur l’histoire de cette pandémie… C’est en 1863, que les premiers plants phylloxérés sont repérés dans le Gard. Mais il faut attendre 1868, pour que trois scientifiques de la Société d’agriculture de l’Hérault parviennent à identifier l’origine de cet étrange dépérissement. Le responsable ? Un minuscule puceron qui s’attaque aux racines et suce la sève. La vigne se dessèche et meurt en trois ans. En été, l’insecte connaît une forme ailée qui accélère sa propagation. Et comme un seul insecte, en une année, a une descendance de 10 millions d’individus, il est presque invincible. Il faut noter aussi sa résistance au froid, survivant à l’hiver de 1879 où la température tombe à -28°C.

Si en trente ans, toute la France est concernée, chaque région avant d’être contaminée vit dans le déni. Dans le Bordelais, on est persuadé que le climat pluvieux préservera les vignes, en Champagne, c’est la craie, dans le Mâconnais, ce sont les collines escarpées qui lui barreraient le passage. Les professionnels ne tirent aucun parti du délai dont ils bénéficient pour se préparer. La recherche pourtant s’organise. Plusieurs écoles s’affrontent. Ceux qui préconisent l’arrachage systématique pour endiguer la propagation. Un modèle qui exige une surveillance permanente du vignoble, des mesures autoritaires et une grande discipline qui n’est pas la première vertu de nos Gaulois. Il n’est guère qu’en Alsace, alors sous domination germanique, que cette méthode fonctionne. La seconde solution, souvent combinée à la première, est le traitement au sulfure de carbone. Injecté sur les racines, il asphyxie les pucerons. Mais il est coûteux, dangereux et partiellement efficace.

Enfin, il y a les plants américains par qui le mal est arrivé. Leurs racines offrent une bonne cicatrisation aux piqures de l’insecte. On les utilise d’abord en direct. Mais on leur reproche leur goût et on ne veut pas perdre l’identité de nos cépages. C’est donc la technique du greffage qui l’emporte : on utilisera un porte-greffe américain, qui donnera des racines résistantes, et un greffon français qui conservera les qualités organoleptiques des cépages autochtones. La viticulture s’en trouve bouleversée : on abandonne le provignage qui permettait, sans peine, de prendre un sarment pour le replanter directement en terre et on passe de la culture en foule complantée d’arbres fruitiers à la monoculture en rangs. La viticulture se technicise et aujourd’hui l’essentiel du vignoble est greffé. Mais cette technique n’est pas sans conséquence, les greffes mécaniques suscitent des ruptures de sève et seraient responsables de la maladie de l’Esca, un autre sujet...

Crédit photo d'archive: Union des Maisons de Champagne.

La photo ci-dessous vous montre la galle phylloxerique que les feuilles de vigne peuvent avoir de nos jours.